Pour cette cinquième « Lettre du Jardinier », j’ai choisi de vous présenter un ouvrage : « Louange des mousses », de Véronique Brindeau (éd. Philippe Picquier). L’auteure nous emmène au Japon, à la découverte d’une culture où les mousses sont admirées et choyées.
Je vous livre ci-dessous les principales réflexions développées par Véronique Brindeau dans son livre, que je vous encourage d’ailleurs à acquérir (voir notamment sur Amazon).
Quelques notions botaniques
Les mousses sont apparues sur terre il y a trois cents millions d’années, c’est-à-dire bien avant les arbres et les fleurs.
Elles possèdent des rhizoïdes, de minces filaments avec lesquels elles s’accrochent au sol, sur les pierres ou sur l’écorce des arbres. Elles affectionnent les sols pauvres et acides et les terres ombragées.
La pluie et la rosée suffisent à leurs besoins en nutriments. Lorsque l’humidité ambiante vient à manquer, les mousses sèchent mais elles ont la capacité de « renaître » lors d’une nouvelle ondée, dont elles s’imprègnent immédiatement.
Au Japon : des mousses-divinités
Véronique Brindeau nous apprend que la mousse est l’emblème végétal du Japon. Les Japonais l’admirent depuis bien longtemps et l’invitent dans leurs jardins, comme nous le ferions pour un arbre vénérable ou des fleurs. Ils la laissent faire corps avec les surfaces qu’elle recouvre :
« Ombreuse et douce, la mousse épouse la terre (...) Elle est le printemps perpétuel comme la neige est l’hiver, et comme elle, restitue le monde à son silence. » (V. Brindeau, « Louange des Mousses », Ed. Philippe Picquier, p.53)
Dans les patios, les jardiniers composent des tapis de mousses, jouant avec les différents coloris et textures des nombreuses variétés (il en existe plus de 300).
Ils disposent des fragments de mousses à une certaine distance les uns des autres, pour leur permettre ensuite de se rejoindre. Ils prennent soin d’ôter à la main ou à l’aide d’un simple crochet les feuilles, les brindilles et les aiguilles de pin qui les recouvrent.
Il émane de la simplicité de ces gestes - inchangés depuis des siècles - une sorte de renoncement au progrès : pas de soufflerie pour chasser les feuilles, pas de traitement herbicide…
La poésie des noms
Véronique Brindeau relève qu’il existe plus de 300 noms usuels pour décrire et répertorier les différentes mousses.
La poésie de ces noms, pleins d’images, relève parfois les détails infimes qui les caractérisent : la mousse « pinceau du Yamato » aux pointes effilées, la « mousse-cyprès » ondoyante et légère, la mousse « givre qui se dépose » aux extrémités transparentes, la « mousse-lanterne » qui pousse à hauteur d’homme et apprécie les rayons du soleil, la « mousse d’argent » à la couleur cendrée, mais encore la « grande ombrelle » au velours sombre, le « petit cyprès », la « mousse des sables », la « mousse-cigare », la mousse « écureuil » qui grimpe en spirale rousse sur les branches, la « mousse-phénix », la « mousse du souvenir » qui croit sur les auvents de chaume des demeures laissées à l’abandon, etc. (V. Brindeau, op. cit., pp. 16-20)
Ancestrale et moderne
Le visiteur du Japon peut admirer des mousses dans de nombreuses enceintes de temples et de pavillons, des jardins paisibles et propices à la méditation. Le « Temple des Mousses », à Kyôto, est l’un des archétypes du jardin japonais, abritant pas moins de 40 variétés différentes. C’est même le tout premier nommé au panthéon horticole du Japon.
« C’est au Temple des mousses que l’on éprouve avec le plus d’étrangeté cette atmosphère de cathédrale engloutie et pourtant sereine » (V. Brindeau, op. cit., p.49).
« Partout règne un envoûtement de val abandonné … où le temps ne s’écoule plus de même que dans le monde terrestre » (V. Brindeau, op. cit., p.81).
Symbole des temps anciens, la mousse est, aussi, éminemment moderne. A la fois pour son aspect sobre et homogène, mais aussi pour un courant fondamental de pensée du 21ème siècle en matière de jardinage : jardiner « avec » et non « contre », ce qui revient à accepter ce qui pousse naturellement, à l’ombre.
Certains architectes paysagistes contemporains (dont Shigemori Mirei aura été le précurseur dès la fin des années trente) font aujourd’hui la part belle aux mousses dans leurs créations (par exemple pour la boutique Prada, quartier Aoyama, Tokyo).
Les mousses ont par ailleurs la possibilité de se développer sur des plans inclinés et verticaux, ce qui leur confère un intérêt certain en architecture et décoration.
L’art des paysages de mousses en bassin
Très populaires et beaucoup plus éphémères que les bonzaïs, les mousses sont aussi minutieusement choisies dans les compositions végétales, car elles offrent, à qui sait adapter son regard, un paysage miniature : un océan, une forêt, un bosquet ou même, un arbre solitaire.
A cette différence près que la mousse est un bonzaï naturel, car elle n’a pas besoin d’être taillée.
Au Japon, il existe des ouvrages qui recensent les nombreuses variétés et les recommandent pour figurer tel type de paysage : une vallée, un bois de bambous, une pinède, un cerisier en fleur… selon un plan rapproché, intermédiaire ou lointain.
« Dans ces paysages de poche, les mousses prises individuellement valent pour des arbres. (…) Deux ou trois brins de « mousse-cèdre » à l’avant-plan font un bosquet de saules ployés par le vent ; un peu de « mousse d’argent » déposée sur une étendue de sable suggère au loin un îlot qu’effleure une lumière d’orage (…) un sujet isolé de « mousse-cyprès » nous fait voir un pin solitaire sur un rocher … » (V. Brindeau, op. cit., p.38).
« Tantôt c’est le sable qui figure la mer et tantôt la mousse, sur laquelle une pincée de sable dit alors l’écume autour des rocs où les flots. viennent fracasser leurs vagues. » (V. Brindeau, op. cit., p.38).
Et dans nos jardins ?
Même si nous avons un climat moins humide qu’au Japon, les mousses sont présentes dans bien des lieux et jardins, où elles passent souvent inaperçues.
Et lorsqu’elles sont visibles, nous nous acharnons à les détruire, à les éradiquer de nos pelouses.
Inspirés par le respect qu’ont les Japonais pour les mousses, tel que nous le dépeint Véronique Brindeau, nous devrions peut-être changer notre regard, notre perspective et apprendre à nous « baisser » au niveau des mousses, pour mieux les apprécier.
Ainsi, pour chaque situation dans le jardin, je vous conseille d’étudier la nécessité d’ôter (ou non) la mousse. Parfois, sa présence peut réellement apporter de la beauté au lieu, comme sur un vieux mur, un tronc d’arbre, les bords d’un sentier ou même dans une allée de garage.
Bien sûr, une scarification de votre gazon reste possible. Mais avant d’y procéder, posez-vous la question de l’utilité de cette « corvée ».
Voyez par exemple les avantages d’une pelouse moussue : moins de tonte, une couleur lumineuse en hiver et une sensation douce et agréable au toucher, lorsque l’on y marche à pieds nus…
« Mousse verte étendue tel un manteau
aux épaules des rochers
nuages blancs s’étirant là-bas,
ceinture aux flancs des montagnes »
Hakurakuten, nô de Zeami